Zones illicites dĠAlep La Syrie au prsent Institut Franais du Proche-Orient Zouhair Ghazzal Loyola University Chicago Ç Je
vais vous dire ce qui se passe dans ce quartier. Les clans et tribus
nĠont plus lĠexistence lgendaire quĠon leur
accordait. Tout est morcel, tout est fragmentÉen
miettes. Moi je ne parle plus avec mon pre, ni mes frres ou
cousins. On se parle plus depuis dj longtemps, depuis
quĠon sĠest install en ville et laiss le village
derrire nous. Mon voisin dĠ ct sĠest
disput avec ses fils. Ils nĠen veulent plus de lui. Alors il se
marie une seconde fois, sĠachte une nouvelle maison, et va
sĠinstaller avec sa jeune femme. Il a 65 ans. Il ne voit plus ses fils,
et de toute faon ils nĠen veulent plus de lui. Il nĠy a
quĠun seul dicton en marche ces jours-ci : ÒLĠargent
rassemble (al-ml yajmaÔ al-shaml)Ó. Dans cette rue se trouvent des
familles appartenant des tas de clans (Ôashyir) et tribus (qabyil), juxtaposes
ple-mle des familles originairement dĠAlep. Or,
plus rien ne les rassembleÉaucune logique ne les unitÉsauf celle
de lĠargent. Nous sommes tellement fragments que jĠai du
mal voir comment cette rue, ce quartier, tiennent encore debout.
Puis un jour quelquĠun vient tout bonnement avec de lĠargent
quĠil a d ramasser quelque part. Il commence un projet. Il veut
vendre des vtements produits Alep, ou des cigarettes de
contrebande, et il a donc besoin de jeunes gens pour la distribution et la
vente dans les quartiers. Alors il rassemble autour de lui des jeunes du
mme clan (Ôashra), et voil 20, 30, ou 40 qui
soudainement commencent travailler ensemble. Sinon ils resteraient
disperss, bons nous emmerder. È LĠhomme
qui parle a peut-tre la cinquantaine, bien bronz, et porte une
longue chemise orientale blanche, bien repasse.
Ç a fait longtemps que je ne lĠai pas porte,
puis tout bonnement aujourdĠhui jĠen ai eu envie. CĠest
pourquoi elle semble tout fait neuve. Je viens de la sortir du
tiroir. È Il est maon, mais par manque de demande, il a
travers, comme tout le monde dans ce quartier, plusieurs
mtiers, que ce soit en Syrie ou au Liban. Nous sommes
Tarq al-Bb, quartier au nord-est dĠAlep, domin
par le clan des Battsh, connus surtout pour des affaires de
contrebande (pices de rechange pour voitures, moutons, ou monnaies).
Un long boulevard, moiti asphalt, spare la
partie ouest qui est lotie (mufraz) de la partie est qui elle demeure non-lotie.
Mme ce grand boulevard est moiti
asphaltÑdu ct des appartements lotisÑ,
alors que des marchands ambulants, et des tentes vendant des fruits et lgumes
occupent la partie crue poussireuse. De gros camions, des Suzuki, et
des taxi jaunes, partagent lĠespace de la partie crue avec les
marchands des tentes, quĠils soient ambulants ou permanents :
beaucoup de chauffeurs habitent ce quartier, de sorte quĠil a
lĠair dĠun gros parking o tout se mlange.
Ç On devrait interdire les camions dans les petites
rues È, me dit mon interlocuteur lors du passage dĠun gros
Mercedes qui nous remplit de poussire en cette fin dĠaprs-midi
dĠun vendredi chaud. Or, mme si cĠest un vendredi, les
habitants des quartiers populaires ne suivront pas les rgles
imposes par la municipalit pour le jour de cong
obligatoire (vendredi ou dimanche). En conduisant ma voiture du centre
ferm de la ville, les quartiers populaires
priphriques, partir de ShaÔÔr et
ses cimetires magnifiques, surprennent par leur ouverture jour et
nuit, tous les jours de la semaine, sans interruptionÑ24/7 comme disent
les amricains. LĠhomme
bronz, que jĠavais dcouvert par hasard en dbut
dĠaprs-midi, me fait asseoir sur le
Ç trottoir È de sa maison arabe (hsh
Ôarab).
Pas question de mĠinviter lĠintrieur : sa
femme et enfants regardent la tl dans la seule pice
o ils reoivent leurs invits. Alors il mĠapporte
une chaise et mĠoffre du caf. On discute des prix : toutes
ces maisons ont t rcemment bties, durant les
vingt dernires annes, et nĠont en gnral
quĠun ou deux tages (style
Ç arabe È, mais en bton plutt
quĠen pierres tailles); on les agrandit au fur et a mesure
quĠon en a besoin ; mais comme la zone est non-lotie, les
propritaires nĠont pas leurs papiers en rgle,
cĠest--dire que leur proprit nĠest pas
enregistre au bureau officiel des cadastres du centre ville. Comme la
moiti des propritaires dĠAlep qui ont le mme
problme, une grande partie de ceux de Tarq al-Bb
sĠchangent leurs proprits par le moyen de
documents non-officiels approuvs par des juges civils. En jargon
juridique, en provenance du fiqh hanfite ottoman, on dira que ces propritaires
nĠont pas de pouvoir sur leur proprit en tant
quĠÇ objet tangible (Ôayn) È, et que donc en cas de
procs ils jouiraient de leur Ç droit
personnel È plutt que de leur Ç droit
rel È : cette fiction juridique permettrait
de tels propritaires de porter plainte devant un tribunal civil, sans
aucun document cadastral. Mais
malgr ce statut quasi-officiel des
propritsÑdont mon interlocuteur mĠavait
assur quĠil englobait prs de la moiti des
maisons et appartements dĠAlep, dans ce quĠil est convenu
dĠappeler les Ç zones dĠhabitation sporadiques (amkin
al-sakan al-ÔashwĠ) ÈÑ, les prix restent assez
levs : mme un petit deux-pices dans ces
Ç zones illicites È pourrait dpasser le
demi-million ($10 000), et un trois-quatre-pices aisment
aborder le million. Mon interlocuteur me fait savoir que son voisin vient
tout juste dĠacheter un appartement dans le quartier (licite) de Sayf
al-Dawla : situ au sud-ouest dĠAlep, tout juste en bas de
la cit universitaire (dĠo son attrait pour les tudiants),
Sayf al-Dawla est un de ces quartiers de la classe moyenne basse,
tendance populaire, avec un grand suq donnant sur son artre
principale. Le voisin aurait vendu pour un million, pour sĠacheter
Sayf al-Dawla pour un million-six, mais pour un petit deux-pices :
cette dette de LS 600 000 Ç vaut la peine, en particulier pour un
enseignant qui regarde vers un monde meilleur È. Pourtant ces
quartiers illicites sont loin de la structure du
Ç ghetto È amricain. Tout dĠabord, leurs
habitants ne vivent pas dans leurs quartiers dĠune faon autonome,
comme isols du monde extrieur, puisquĠils travaillent
dĠhabitude ailleurs, soit dans les zones industrielles ou au centre
ville. Quand on vient du centre vers la priphrie, et
malgr lĠtat dlabr de certains de ces
quartiers, on nĠa pas ce sentiment que lĠon est dans un monde
part : en fait, on sĠaperoit que ces gens, ce
style de vie, ces marchs, cĠest du dj
vuÑon les a dj vus ailleursÑau centre ville prcisment.
Le centre ville moderne (en dehors de lĠenceinte de la vielle ville
ottomane)Ñsitu dans le triangle du Baron, Jdayd, et
Bb al-FarajÑa depuis les annes soixante perdu son
caractre grande-classe chic, et ses boutiques, magasins, et
cinmas vivent depuis longtemps sous lĠempreinte force
des gots populairesÑnos voisins de la priphrie :
cĠest donc la priphrie qui assige la ville, et
non lĠinverse. Ce Ç populisme È du centre a
pouss des quartiers chics comme Muhfaza, Sabl, ou Shahb,
dpendre de leurs propres Ç shopping centers È, phnomne
qui sĠest rpandu, durant ces vingt dernires
annes au reste de la ville. Ainsi, mme les quartiers
priphriques les plus populaires, comme Ashrafiyy,
Shaykh Maqsd, Hulluk, ou ShaÔÔr, possdent
tous de grands centres de consommation : produits vestimentaires et
lectroniques, supermarchs, salons de coiffure, tout y est.
Non seulement ces centres font que chaque quartier devient de plus en plus
autonome, mais la diffrence des prix entre le centre et la
priphrie pousse certains vendre leurs boutiques du
centre pour sĠacheter ailleurs des prix beaucoup plus
bas : le prix dĠune boutique du centre ferait
lĠquivalent dĠune autre plus grande ailleurs, en plus
dĠune maison. DĠaprs
la municipalit, des 114 quartiers dĠAlep, 87 sont
classifis comme ayant une organisation formelle, alors que 27
demeurent illicites. Mais les zones illicites (informal settlement zones) occupent de 40 45 pour cent
de la superficie de la ville et du nombre de ses habitants : leur poids
sĠavre donc plus important que leur nombre vis--vis des
zones formelles, puisque mme dans ces dernires, le pourcentage
des maisons illicites reste parfois lev. Une tude
rcente de 18 zones illicites et de 29 formelles qui leurs sont
adjacentes, pour une totalit de 1000 maisons (household) majorit illicites
(mme dans les zones dites formelles), montre clairement que les
revenus bas ont une influence totale la fois sur la sant et
le style de vie, que sur lĠactivit conomique (les
enquteurs ont laiss les questions politiques en dehors de leur
champs dĠtude)[1]. Ainsi, il sĠavre que
prs du quart sont en provenance de zones rurales, donc en ville pour
la premire fois, alors que les autres auraient
dmnag dĠautres quartiers de la ville ;
24,3 pour cent des hommes et 22,1 pour cent des femmes se prsentent comme
non-Arabes, probablement kurdes (la seconde ethnie en Syrie)[2]. Malgr lĠenseignement
gratuit, et les progrs par rapport la
gnration prcdente, le taux
dĠanalphabtisme reste lev : 38 pour cent chez
les femmes ; alors que seulement 4 pour cent des hommes et femmes ont un
diplme suprieur, et 8,9 pour cent des femmes ont du travail
pay. La pauvret domine lĠenqute tous
les niveaux : ainsi, seulement 3 pour cent des maisons ont un revenu de
plus de LS 20 000 ($400) par mois ; 3,2 pour cent ont moins dĠun
individu par chambre ; 5 pour cent ont un ordinateur ; mais la
majorit ont un poste de tlvision, dont la
moiti sont connects une antenne parabolique (dish). Les couples maris ont un taux
dĠenfantement de cinq par moyenne, et le tiers sont maris
un individu de la famille (cousine ou nice)Ñle taux de
polygamie ne dpassant pas 7,5 pour cent. Comme les enquteurs
taient en majorit de docteurs professionnels, ils ont
not dans leur tude dtaille des taux parfois
levs de cancer, de maladies cardiaques ou respiratoires, de
diabtes ou ulcres, avec des variations entre les sexes et
ges, sans parler des symptmes de stress, de maladies psychiques
ou de personnalit. Ë vrai
dire, une histoire de ces quartiers illicites est encore loin
dĠtre bauche, mme pour de larges
mtropoles comme Damas[3] et Alep, les plus touches par
ce phnomne. Il semble cependant certain que la propagation de
quartiers illicites (ou de maisons illicites dans de quartiers lotis) est un
phnomne qui date de la fin des annes 1950, plus
prcisment lĠunion avec lĠgypte. Les
rformes agraires de 1958 et 1963, tout en offrant de la
proprit aux paysans qui nĠen avaient point, ont aussi dpossd
les grands propritaires autour des villes. Les terrains entourant les
zones urbaines bties, et sur lesquels on cultivait Alep des
pistaches, olives, fruits et lgumes, appartenaient pour la plupart
aux grandes familles, comme les Muyassar, Nahhs, Hubbu, Ab
Bakr, Barr, Jazmt, et Qtirj.
AujourdĠhui de tels noms sont devenus ceux des quartiers
priphriques lĠest et au sud de la ville,
illicites pour la plupart : ces familles ayant perdu leurs terrains avec
les rformes agraires, tout fut parcellis puis vendu, ou
chang avec dĠautres terrains plus convenables
la campagne ; et lĠon commence y btir dessus sans
aucun plan dĠorganisation, sans autorisationÑdbut de la
super-urbanisation illicite. Prenons lĠexemple des Muyassar, qui
jusquĠau annes 1950 possdaient des terrains
lĠest dĠAlep, o ils cultivaient surtout des
pistaches ; ils avaient mme btis une ferme afin de mieux
contrler le travail des paysans, et quĠils utilisaient aussi
comme rsidence secondaire. AujourdĠhui le quartier qui porte
leur nom, Karm al-Muyassar, est lĠune de ces zones illicites remplie de
maisons arabes un ou deux tages. Comme pour la plupart des
quartiers lĠest et au sud de la ville, illicites ou pas, celui
de Karm al-Muyassar est occup par des clans et tribus arabes qui se
divisent les quartiers. Ainsi, al-Walda est une tribu (qabla) forme de cinq clans (Ôashyir, s. Ôashra) distincts : al-SaÔb,
al-Nsir, al-Huwaywt, al-ÔAfdhila, et
al-B-Hamad. On trouve ces clans distribus dans de nombreux
quartiers, comme Sukkar, Ashrafiyy, Shaykh Maqsd,
Hulluk, et Shaykh SaÔd, se partageant les rues et quartiers avec
dĠautres clans arabes ou kurdes (de ÔAyn al-ÔArab ou
Qamishl), ou de familles alpines ou kurdes (surtout de
ÔIfrn). Parmi les autres clans ou tribus dominant les
priphries on notera surtout les Hadddn, Bani
Khlid, al-Bakkra, et al-Jayst (dont la fameuse maison
Barr de Bb al-Nayrab est issue). Comme
lĠimmigration de la campagne nĠeut lieu que sporadiquement, et
que tous ces quartiers illicites ne possdent aucune organisation
formelle, et sont le produit de ceux qui les habitent, il y a trs peu
de quartiers, ou mme de rues, domins systmatiquement
par un seul clan. Cette fragmentation empcherait lĠimposition de
taxes illgales (khuwwa, pl. khuwwt) par le plus fort. La forte division entre clans, familles, et ethnies,
rue par rue, quartier par quartier, pousse certains sĠimposer
comme lĠÇ homme fort È (qĠid) dĠune localit (mahalla), esprant ainsi de jouer le
rle de Ç mdiateurs È locaux. Dans
certains quartiers, cette fragmentation est moins accentue, et la
tendance est au partage du pouvoir entre deux ou trois clans, maisons, ou
familles. Ainsi, le quartier de Bb al-Nayrab, situ au sud-est
de la ville, est lĠune de ces zones Ç dures È,
qui durant toute lĠpoque ottomane fut lĠespace de
ngociation entre la ville et les tribus environnantes[4]. AujourdĠhui les maisons
Barr et Hamida se partagent le pouvoir, au point o chaque rue,
mosque, et zwiya soufie, est dlimite entre lĠun et lĠautre.
Mais un tel partage a aussi ses inconvnients, puisque dans ce
quartier dur o la contrebande du tabac prdomine, les deux
clans principaux entrent parfois dans des guerres style mafia sicilienne.
Ë lĠpoque des troubles avec les frres musulmans,
le maire dĠAlep de lĠpoque, Nuhd Qd,
voulut briser le pouvoir des clans du Nayrab : la grande avenue qui,
partir du priphrique et de la mosque
moderne, casse le quartier en deux, fut le travail de Qd, qui
avant de recevoir sa promotion vers Damas, survcut un attentat contre
sa vie la fin des annes 1970. Les deux clans principaux se
rorganisrent nanmoins autour de la nouvelle avenue,
chacun avec son espace propre. Ainsi pendant plus de deux
gnrations les Barr avaient leurs propres dputs
au parlement, alors que les Hamida occuprent des postes dans
lĠarme, la police, et les services secrets. La tension devint
encore plus vive en 2000 quand le dput Mahmud Barr,
fils an de ShaÔbn Barr, fut
assassin en voiture avec sa femme et fils. Quand des membres du clan
oppos furent attaqus, et que le dput Ahmad
Barr fut mis en accusation par les Hamida, on demanda la leve
de son immunit parlementaire. Mais le parlement refusa, et
Barr fut assassin son tour en fin 2004 alors quĠil
sortait dĠune mosque. On a ensuite tent en vain
dĠassassiner des membres des Hamida, et leurs boutiques dans la vielle
ville intra muros
(prs de 40) sont sous constante menace. Rappelons que les Barr
ne se posrent jamais comme plaideurs dans lĠassassinat de leur
dput : question dĠhonneur, sans doute, puisquĠils
esprent toujours garder le droit de vengeance
eux-mmes, plutt que de recourir la justice. Durant toute
lĠpoque ottomane Alep tait assige par
des clans et tribus dont les ramifications sĠtendaient
jusquĠaux provinces irakiennes et la pninsule arabe, et la
ville ngociait ses Ç redevances È par le moyen
dĠun quartier comme Nayrab : une Ç porte È (bb) entre lĠintrieur urbain
et sa stratification entre groupes de statuts, et lĠextrieur
rural et tribal. AujourdĠhui, les zones illicites mirent fin
un tel quilibre prcaire, puisque lĠextrieur
sĠest log lĠintrieur, et a finit par
trangler la ville dans un mouvement de super-urbanisation rapide.
Certes, la Syrie sĠinscrit cet gard dans un mouvement
tiers-mondiste o dj plus dĠun tiers de la
population urbaine globale vivait en 2001 dans des bidonvilles[5]. Alors que ces slum-dwellers sont pour la plupart sans habitat ni
travail de qualit, ils constituent des
Ç marginaux È du nolibralisme
globalisant : des paysans dont le produit de leurs terres ne suffit
plus, des dplacs professionnels du secteur public, et des
ouvriers avec un savoir-faire technique devrant se contenter de travaux
partiels, sans compter, comme cĠest le cas pour la Syrie, les membres
des clans et tribus, qui par tradition ne
Ç travaillent È pas, et pour qui le travail
qualifi, quĠil soit rural ou urbain, est certes une
nouveaut[6]. Mais est-ce un nouveau
sous-proltariat ? Certes, lĠide de la ville
europenne du 19e sicle qui absorberait
lĠexode rural par le moyen du travail urbain bas salaire
nĠest plus conforme ce que le 20e sicle a
dveloppÑdu moins en ce qui concerne le tiers-monde.
Pour ceux qui, comme Mike Davis[7], visent pour une vision globale de
cette super-urbanisation tiers-mondiste, ils considrent, dans un
langage no-marxiste peine voil, que Ç la
retraite de lĠtat (the retreat of the state) È, face au pressions
no-librales des grandes institutions montaires
internationales (banque mondiale, IMF, et WTO), aurait entran
ce flux urbain incontrlable dĠindividus ou familles
marginalises par le capitalisme sauvage
lĠchelle plantaire. Dans ce schma tout
bougerait entre lĠÇ informel È et lĠÇ
illicite È : ainsi, une Ç classe ouvrire
informelle È se met en place, compose en majorit
dĠemploys dĠtat, de paysans urbaniss, de
micro-entrepreneurs petits bourgeois, de professionnels ayant perdu leurs
emplois, ou dĠouvriers sans travail permanent. Tous se juxtaposent
ple-mle dans ces zones illicites qui dsormais
tranglent les villes du tiers-monde, et qui forment une ceinture de
misre sans aucun horizon de salut commun (mme par le moyen de
lĠtat). Davis voudrait une fois pour toute dchoir
lĠide que la super-urbanisation ne serait que le rsultat
nfaste dĠune Ç mauvaise gestion (bad governance) È tatique :
cĠest plutt lĠtat national qui est en
Ç retrait È face aux pressions du capitalisme mondial.
En somme, lĠtat nĠaurait quĠune chose dire
ces concitoyens : Ç tout le monde se
dbrouille seul, nos ressources sont limites È. Plutt
que le welfare state europen, on est en face dĠun Hglianisme
des pauvres gnralis. Or le cas
Syrien, et celui dĠAlep en particulier, montre que loin dĠune
Ç retraite È de lĠtat, cĠest
plutt sa prsence et sa mainmise sur la production qui
empcherait le plein dveloppement de lĠesprit de
lĠentrepreneur capitaliste. Hritier du dmembrement de
lĠEmpire ottoman, lĠtat syrien post-colonial
touffa aussitt partir de la fin des annes
1950 la bourgeoisie nationale du mandat, puis sĠembarqua dans des
projets de nationalisation et confiscation des terres, deux des
Ç causes È principales derrire le mouvement
urbain illicite. Mais pour comprendre les racines du mouvement urbain, il
faudrait sans doute aller au-del des modalits du travail et
de sa gestion. Il faudrait en effet aborder partir du travail la
gestion de la proprit et du contrat (qui tous deux font
partie de lĠhritage ottoman), de lĠorganisation
conomique en fonction des pratiques religieuses (codes
thiques ou pratiques de salut), ou des pratiques quotidiennes du
droit et de la justice. Ainsi, par
exemple, les rgles du travail et du profit dans certaines de ces
zones priphriques nĠobissent pas
ncessairement aux rgles de la comptition capitaliste.
Les micro-manufactures de textile ou de chaussures, qui souvent
nĠemploient pas plus de dix personnes, soit dans une boutique, un
appartement, ou un abri sans fentre, et situes dans les
quartiers kurdes de Ashrafiyy, Shaykh Maqsd, Hulluk, et ÔAyn
al-Tall, se trouvent en comptition avec les grandes usines de
Bustn al-Bsha et Billyramm (au nord-ouest), ou
avec les manufactures de taille moyenne de Kalls (au
sud-ouest). Or, pour comprendre comment une micro-manufacture de textile de
dix personnes arrive survivre quelques kilomtres
dĠune usine de textile avec 500 employs, il faudrait passer par
lĠenchevtrement des relations la fois
conomiques que sociales. Tout dĠabord, les micro-manufactures
arrivent survive grce aux liens de parent, la
discipline et les long horaires (plus de 12 heures par jour, parfois 7 jours
la semaine), les salaires bas (moins de 10 000 livres par mois), et surtout
par la connaissance personnelle que les acteurs dveloppent lĠun
par rapport lĠautre. Ainsi, un micro-entrepreneur embauche ses
proches pour travailler dans une petite boutique qui produit des draps en
coton : dix peuvent suffire pour faire circuler le petit capital
leur disposition, et pour faire marcher les machines
corennes ou turques ; on prfre exporter les
produits vers les pays arabes ou lĠunion europenne plutt
que de les vendre localement, puisque les marges de profit
sĠavrent plus prometteurs. CĠest donc tout lĠaspect
Ç informel È de ces oprations, situes
pour la plupart dans des zones illicites, qui garantit leurs succs
vis--vis du travail plus structur des grandes usines. Il se
peut mme que le travail informel est en train dĠaugmenter, comme
ces zones illicites qui lĠhbergent, un taux plus
rapide que le travail structur (et mieux
protg) : mais est-ce l un bon signe ? Ou
faut-il voir dans tout cela la fragmentation dĠune
socit qui nĠarrive ni organiser son travail,
ni hberger tous ces individus qui sĠentassent aux
alentours des villes et ne font que rver dĠune autre vie ? Ç Regardez
ce briquet chinois È, me dit mon hte de Tarq
al-Bb dĠun ton provocateur. Ç Voyez combien de
pices il contient : il devrait y avoir une bonne douzaine.
a fait une semaine que jĠy brle un paquet de cigarettes
par jour avec, et jĠen aurai peut-tre pour une autre semaine. Or
il ne cote que 5 livres, et son cot de fabrication devrait
tre moins que a. Pour produire quelque chose dĠaussi
simple et compliqu un prix tellement bas il faudrait du
gnieÉune organisation du travail, et une thique
correspondante, que lĠon ne possde pas encore dans nos
paysÉet que lĠon nĠaura sans doute
jamaisÉ È |
[1] Wasim Maziak, et al., Ç Mapping the health and
environmental situation in informal zones in Aleppo, Syria; report from the
Aleppo Household Survey È, tude tablie par le Syrian
Center for Tobacco Studies, Alep, Syrie, paratre; voir aussi
lĠarrt-sur-image de Maziak dans ce mme ouvrage.
[2] Le haut pourcentage des Kurdes par
rapport leur moyenne nationale de 10 pour cent (soit 2 millions de
Kurdes pour une population de 20 millions) sĠexplique par le haut taux
dĠimmigration de la rgion rurale de ÔIfrn, qui
elle seule contient 366 villages au nord-ouest syrien. On y reviendra.
[3] Voir dans ce mme volume
lĠarrt-sur-image de ShaÔbn ÔAbboud,
correspondant du quotidien libanais an-Nahar Damas.
[4] Cf. Jacques Hivernel, Ç Bb al-Nayrab, un
faubourg dĠAlep, hors la ville et dans la cit È, tudes
rurales, nĵ 155-156,
juillet-dcembre 2000, 215-237, et aussi son arrt-sur-image dans
ce mme volume.
[5] Mike Davis, Ç Planet of Slums: Urban Involution and the Informal Proletariat È, New Left Review, 26 (mars-avril 2004), 5-34.
[6] Les premires tentatives
dĠintgrer les tribus dans des Ç travaux È
agricolesÑce qui implique une sdentarisation
forceÑdatent de lĠpoque de lĠoccupation
gyptienne du Bild ash-Shm entre 1832-40, quand
Ibrahm Pasha ngocia avec les clans et tribus situes dans
la rgion dĠIdlib et Hama de travailler sur la terre en
contrepartie de terrains dont ils seraient les propritaires absolus.
Notons que dans le langage du Baath les Ôashyir ne forment mme pas une
catgorie part, ct des travailleurs (Ôumml) et paysans (fallhn), puisquĠils devraient en principe
sĠÇ absorber È dans ces dernires.
[7] Mike Davis, Ç Planet of Slums È, op. cit.